Dans le n° 35 du magazine suisse Open, consacré à l’Inde, une interview de Danielle et Olivier Föllmi, dont nous donnons ici de larges extraits.
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Danielle et Olivier Föllmi, des textes et des images pour un monde meilleur.
Par Bernard Tâche
“Aux prémices de ma vie de voyageur, dans ma quête de vérité, j’ai hésité à devenir moine. J’ai choisi la Voie du milieu, j’ai choisi d’être photographe”. Ce sont les mots d’Olivier Föllmi, photographe-voyageur en quête de rencontres et de partage. Justement, c’est cette rencontre magique, particulièrement Open, avec Olivier et Danielle que nous avons voulu partager avec vous.
Lui, enfant sauvage et guide de montagne, a toujours eu la vie de bohème qu’il recherchait. Elle, médecin anésthésiste, continuait de se spécialiser, et voyageait avec Médecins Sans Frontières. Ces sept dernières années Olivier est peut-être resté une vingtaine de jours par an chez eux à Annecy en France, pourtant il l’aime sa belle maison située à deux pas de Genève. Pas si facile pour Danielle son épouse depuis 30 ans, d’accepter et respecter le choix de son mari, l’aventurier, l’artiste. Elle le rejoint parfois, mais leur relation, on le sent, est vibrante, compliquée… créative. Un rapport entre une femme et un homme certainement incompréhensible pour le commun des mortels. Lui, il voyage, se retrouve en tant qu’homme libre et estime qu’il a assumé son rôle de père de famille et qu’il a fait sa part. Elle, Danielle, sait que la vie et le bien-être de leurs enfants dépendent d’une attention particularisée, continue, quotidienne. Que ce sont peut être les aspects les plus importants et difficiles de la vie : regarder ses proches comme des personnes enveloppées de mystère et les aider, les accompagner au quotidien.
Elle s’investit dans le quotidien, mais c’est aussi elle qui s’occupe des livres et de la maison d’Edition. Sa réflexion sur le monde, son travail responsable et engagé mêlant sens politique et densité intellectuelle, sont une participation réelle et tangible à la vie. Un rôle et des gestes qui sont essentiels pour que des hommes tels que Olivier puissent marquer le monde de leur empreinte, de leur talent. En 2003 sort l’ouvrage intitulé “Offrandes” de Danielle & Olivier Föllmi. Conçu au départ pour leurs enfants adoptifs tibétains à la recherche de leurs racines, partagés entre deux cultures,”Offrandes” remporte d’emblée un succès planétaire. Aujourd’hui on compte 7 livres parus dans la collection “Sagesses” le dernier en date s’intitulant “Espoirs”. Traduits en sept langues, ces magnifiques témoignages proposent un tour du monde des sagesses. Les textes de Danielle et les images d’Olivier sont leur contribution à la paix du monde. Un coffret proposant une version revue et abrégée des 7 volumes de la collection vient de sortir pour les fêtes.
Vos rapports avec la photo ?
Olivier : Seul les préliminaires et le déclic m’intéressent. La photo prise, elle ne m’intéresse plus, elle ne m’appartient plus. En fait, je suis un passeur et quand l’image est faite je la transmets simplement un peu plus loin. Je recherche la symbiose parfaite avec le paysage, la rencontre avec l’autre. Parfois, pour figer un paysage avec la luminosité désirée, je peux attendre très, très longtemps jusqu’à ce que je plonge même dans un état méditatif. Emotionnellement c’est extrêmement fort.
C’est ce que j’aime, tu te mets en condition, tu transcendes l’instant présent et tu attends la beauté fatale. C’est un orgasme cosmique. Après, ça m’est égal, la photo fait son chemin, elle est libre, je suis libre.
Danielle : Il y a des images qui sont telles des tableaux et on ne les touche pas. Mais d’autres peuvent êtres reliées à un texte une réflexion profonde qui leur donne une plus grande intensité. Pour moi, certaines photos accompagnées d’un texte approprié peuvent atteindre des horizons insoupçonnés. Et c’est important de le partager et d’aller plus loin dans la réflexion, d’explorer le rapport entre le texte et l’image. Quand il y a une bonne corrélation, le texte enrichi la photo et la photo le texte, leurs donnent une autre, une nouvelle dimension.
Parlez-nous de votre fondation HOPE ?
Olivier : Comme je vous l’ai dit, je suis un passeur, je ne fais que prendre des photos, ce ne sont pas les miennes, c’est pour quelqu’un d’autre et je la transmet plus loin, plus loin… Quand tu prends quelque chose, tu te dois de donner en retour. Quand tu prends une photo d’un pays, tu te dois de rendre quelque chose à cette terre. Je donne toujours quelque chose en retour, pas forcément de l’argent, parfois un repas, d’autres fois du temps, et c’est pour cette bonne raison que l’on a créé HOPE.
Danielle : Dans ses actions, HOPE fonctionne à court terme, ceci afin de ne pas engendrer de changement rapide ou profond des mentalités ou encore de dépendance financière. Chaque projet pour lequel HOPE s’investit, découle d’une relation personnelle de l’un de ses membres auprès de gens de confiance sur place. Si aujourd’hui le soutien de HOPE s’est élargit tout autour du monde suivant notre parcours, son origine est un hommage à l’Himalaya. HOPE a été créée pour apporter aide et soutien aux peuples de l’espace culturel himalayen. Là-bas, les peuples ont préservé un mode d’existence traditionnel grâce à leur isolement et à la richesse de leur culture. Cependant, les bouleversements politiques, le développement progressif des régions amènent les peuples de l’Himalaya à modifier certaines de leurs valeurs ou à en acquérir de nouvelles. Ces changements sont constructifs s’ils allient harmonieusement les connaissances du savoir ancestral et celui du moderne. Le but de HOPE a donc été, dans un premier temps, d’aider toute initiative locale sincère, tâchant d’harmoniser tradition et développement dans l’Himalaya.
L’échange est très important pour vous ?
Olivier : C’est tout l’intérêt de la photographie. Personnellement je prends quelqu’un en photo uniquement s’il y a une belle relation. Je lui demande toujours si elle est d’accord et je parle avec elle. Je dois capter l’âme de la personne, ça ne suffit pas que la personne soit belle. Un jour j’ai eu une véritable leçon de vie. À 17 ans je suis parti en Afghanistan en tant que guide avec une équipe de copains pour l’escalade d’une face vertigineuse. Je commençais à potasser sur ce pays et avant de m’y rendre j’en étais tombé amoureux. À tel point que je décidais de m’habiller comme un afghan. Arrivé à Kaboul, je fonce au Bazar pour dégoter une tenue et un turban. Je choisi un turban qui me convient et m’approche d’un vendeur qui buvait son thé et lui demande “combien ça coûte?”, il me regarde et me dit qu’il ne me le vend pas car je n’avais pas marchandé, c’est-à-dire communiqué. Pour lui, l’argent importait peu s’il n’y avait pas d’échange. Cet homme m’a donné la base de mon travail de photographe.
(…)
Votre succès est incroyable, mondial, vous êtes traduits en 7 langues, diffusé dans de nombreux pays et vous avez vendu plus de un million cinq cent mille exemplaires, comment le vivez vous ?
Danielle : Très simplement, on repart toujours de zéro sur un nouveau projet. Tout est réinvestit dans les prochains voyages afin de revenir avec de nouvelles images fortes et authentiques. Il y a la page blanche et à nous de réinventer la suite, ce n’est jamais simple mais c’est ainsi que nous vivons.
Un projet particulier en cours ?
Olivier : Je travaille sur trois nouveaux livres illustrés comprenant des histoires incroyables qui accompagneront chaque image. Les textes seront d’une importance capitale et porteront les lectrices et les lecteurs à travers des horizons lointains.
Danielle : De mon côté, je me consacre à l’évolution et à l’ouverture du projet « sagesses de l’humanité » , pour l’offrir en partage, ouvrir les livres au monde. Rendre les sagesses vivantes, en exploitant le formidable potentiel du web et du numérique, la possibilité de partage et d’échange à plus grande échelle, et les faire descendre dans la rue par des expositions. Et puis continuer l’engagement pour l’éducation des enfants dans le monde, poursuivre mon travail de passeur à travers un projet culturel et spirituel au delà des livres et de la collection, et une action engagée sur le terrain non plus comme médecin mais dans le domaine de l’éducation à travers HOPE.
Avec tous ces voyages, racontez-nous une belle anecdote ?
Olivier : Dans la vallée du Zanzkar en plein Himalaya nous avions une enfant qui est devenue notre fille adoptive. J’ai demandé à une vieille femme de faire une prière de longue vie pour elle. Cette dame était impotente, l’été pour survivre elle faisait l’épouvantail dans les champs afin d’effrayer les oiseaux. L’hiver elle servait la communauté en récitant des prières. En échange tu lui donnais de l’orge, du blé ou comme moi une motte de beurre. Elle a donc prié toute la matinée pour notre fille, et je lui ai déposé en plus un billet de dix roupies. 3 jours plus tard je la retrouve pour lui dire bonjour et merci, là elle me dit “ si jamais tu as d’autres bouts de papier comme celui que tu m’as laissé, c’est volontiers, car il est parfait pour allumer le feu…”.
(…)
Quelles sont les différences fondamentales dans les autres continents ?
Danielle : En Afrique un enfant est élevé par toute la communauté, un homme seul en Afrique est un homme malade. Chez nous on a besoin d’espace et on a parfois besoin d’être seul. En Amérique Latine c’est la musique qui dicte la vie, il y a une légèreté de vie. L’essentiel est incarné dans les sens, tout s’exprime et se révèle dans le dialogue. L’Asie bouddhiste c’est l’opposé de l’Amérique Latine, c’est la recherche du calme intérieur, la sagesse et la vérité passent par la connaissance de soi. L’Asie hindouiste c’est la quête de l’harmonie et tu es relié au cosmique. L’Extrême Orient, c’est la recherche de la pureté et le sens du don. Le Ramadan par exemple c’est d’être capable de se mettre à la place de celui qui a faim. L’occident signifie l’espoir, la recherche vers un ailleurs, la curiosité. Tels nos explorateurs qui sont allés en Indes, aux Amériques, nous représentons le besoin d’aller plus loin. Nous renouvelons les traditions et remettons constamment en question la science, la religion, la politique… La condition humaine est la même partout, elle est universelle. Nous avons les mêmes responsabilités et les mêmes craintes.